12-03 Balloon_ Extraits critiques

PROPOS du REALISATEUR

Comme vos deux films précédents, Tharlo et Jinpa, Balloon est tiré d’une nouvelle que vous avez écrite. Pouvez-vous expliquer d’où vient cette histoire?

L’inspiration est née il y a de nombreuses années. Au début des années 2000, j’étudiais à l’Académie du cinéma de Pékin. Un soir d’automne, dans le quartier, mon regard a croisé un ballon rouge volant dans le vent. Il m’a semblé qu’il s’agissait d’une image de départ très forte pour un film. Cette image clé m’a aussi renvoyé à une autre symbolique du ballon: celle du préservatif. C’est ainsi que le squelette de cette histoire a pris forme dans mon esprit.


Avez-vous toujours voulu en faire un film ou est-ce arrivé plus tard?

Au début,ent, je n’ai pas pu le réaliser. J’ai alors choisi d’en faire un texte littéraire, que j’ai publié.


En quoi l’histoire racontée par le film est-elle différente de celle de la nouvelle?

La structure de base de l’histoire est la même, il n’y a pas de changement majeur, mais certains personnages ont été développés, tout particulièrement celui de la nonne. J’ai ajouté dans le scénario le personnage de son ancien amoureux, l’enseignant du collège, et le livre «» écrit par cet enseignant à partir de ce qu’ils ont vécu auparavant. J’ai aussi ajouté des moments plus oniriques et des scènes de rêve, qui ne se trouvaient pas dans le texte publié.


Le scénario de Balloon était-il très proche de ce que nous voyons à l’écran? Jusqu’où allez-vous dans la description des situations et l’écriture des dialogues au stade du scénario ?

L’écriture d’un scénario impose de prendre en compte de nombreux facteurs tels que la censure, le financement et la production. Ce fut aussi le cas pour Balloon. Le bureau de la censure a supprimé une intrigue secondaire qui figurait dans la version d'origine. Dans le film quand la nonne se rend à l'école, elle voit une image évoquant cette fable, dessinée sur le tableau.


Il y a plus d’humour dans ce film que dans vos précédentes réalisations. Était-ce intentionnel?

La présence d’une dimension humoristique est naturelle pour moi, et ces aspects étaient présents dès le processus d’écriture.


Vous étiez-vous donné des règles particulières pour la mise en scène, par exemple en ce qui concerne le rythme, le jeu des acteurs, etc.?

Non, il n’y a pas de règles préexistantes. Pour les acteurs, j’ai cet espoir que les personnages sont proches de la texture de la vie elle-même, et pour ce qui est du rythme, il est calqué sur la narration et les évolutions psychologiques des personnages.


Avez-vous fait des demandes spécifiques à Lü Songye, votre directeur de la photographie avec qui vous collaborez pour la troisième fois, en ce qui concerne l’utilisation de la caméra, de la lumière, des couleurs?

Nous avons choisi un style général, dont le principe de base est que la caméra serait toujours en mouvement, pour souligner l’état de tension des personnages. La dominante de couleur est principalement froide pour correspondre à l’ambiance globale du film. Les intensités lumineuses permettent de souligner la distinction entre les parties dites réelles et les parties plus oniriques.


Comment en êtes-vous venu à travailler avec le compositeur iranien Peyman Yazdanian, que nous connaissons surtout pour sa musique du Vent nous emportera de Kiarostami?

Il m’a semblé que Peyman Yazdanian était le musicien qui convenait pour écrire la musique de Balloon. Je lui envoyais des séquences en cours de montage, lui me proposait des éléments musicaux, nous discutions de la place et du style de la musique par mail et, par approches successives arrivions à un choix commun.

Dans les rôles principaux, nous reconnaissons les interprètes de vos précédents films, Jinpa et Sonam Wangmo qui jouaient dans Jinpa, Yangshig Tso qui jouait la coiffeuse dans Tharlo

Sonam Wangmo et Yangshik Tso sont toutes deux des actrices très professionnelles, avec une carrière à l’écran et sur scène. Grâce à leur connaissance de la vie et du contexte culturel décrits dans le scénario, il leur est facile d’entrer dans la peau des personnages. Pour s’imprégner du rôle de la fermière Drolkar, Sonam Wangmo s’est informée sur les coutumes locales et a appris les expressions des dialectes locaux. Yangshik Tso s’est installée dans un couvent pendant deux mois pour partager la vie quotidienne des religieuses et, dans le but d’être au plus proche de son personnage, elle s’est rasé la tête pour le tournage.


Les autres personnages sont-ils aussi joués par des acteurs professionnels?

Le professeur est joué par l’un des accessoiristes du film. La plupart des seconds rôles sont interprétés par des non-professionnels, leurs rôles étant très proches de leur quotidien respectif.


En ce qui concerne les rôles principaux, attendez-vous des interprètes qu’ils jouent exactement ce que vous avez écrit dans le scénario, ou laissez-vous place à une part d’improvisation?

D’une manière générale, j’attends des actrices et des acteurs qu’ils jouent précisément ce qu’indique le scénario, où tous les détails sont prévus. Des modifications même ponctuelles dans le dialogue ou la manière de jouer affecteraient l’ensemble du film.


Quelles langues parle-t-on dans le film, nos oreilles occidentales étant bien incapables de les identifier?

La langue parlée dans la majeure partie du film est le tibétain, plus précisément une des formes de cette langue. Il existe trois dialectes principaux. Je voulais mettre en lumière la complexité des environnements dans lesquels peuvent évoluer différents peuples, et l’usage de langues et dialectes divergents contribue à cette complexité. Il est difficile pour des spectateurs occidentaux de repérer toutes ces nuances, mais même si vous ne comprenez pas la langue spécifique, vous pouvez ressentir les émotions contenues dans le langage.


Pouvez-vous nous en dire plus sur le beau personnage de la religieuse, sur l’endroit où elle vit?

Elle appartient à un ordre cloitré, en intégrant le monastère elle n’aura plus de contact avec le monde. J’ai voulu que ce personnage présente un contraste maximum avec celui de sa sœur Drolkar.


Vers la fin du film, on voit la statue de la princesse Wencheng (parente de l'empereur Taizong de la dynastie Tang, dont le mariage avec le roi tibétain Songtsen Gampo scella au 7e siècle l'alliance des deux pays). Quel est le sens de cette image?

La scène où la statue apparaît dans le film est en effet l’endroit où la princesse Wencheng est passée lorsqu’elle est entrée au Tibet, en route pour retrouver le roi du pays. Cet événement fut un moment fondateur qui marqua le début des relations entre les deux peuples.


Le film est-il sorti en Chine? A-t-il connu des difficultés avec les autorités?

Il sortira en Chine en 2020, j’ai dû effectuer quelques modifications. Le public tibétain n'a pas vu le film, il devra attendre sa sortie.


Dossier de Presse. Propos recueillis par Jean-Michel Frodon, traduits par Tsemdo Thar, avec l’aide de Françoise Robin

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